Lady Chevy – John Woods

Amy, dix-huit ans, est surnommée Chevy depuis le collège, « parce qu’elle a le derrière aussi large que celui d’une Chevrolet… Les garçons de la campagne sont très intelligents et très délicats », dit-elle.
Mal dans sa peau de grosse, méprisée par les ados de son âge à l’école, elle n’a que deux amis, Paul et Sadie. Qui, eux, l’appellent par son prénom. Et qui ont de gros soucis familiaux comme elle. Sadie est d’une famille fortunée, mais elle a perdu son père et son frère dans un accident il y a trois ans. Paul, lui, voit tous les jours son père à l’agonie, malade des poumons après avoir travaillé sa vie durant à la mine.

On est dans une petite ville de l’Ohio, un « trou perdu » au bord des Appalaches. Les usines métallurgiques rouillent sur place. Les mines fonctionnent encore. Mais le pire, ce sont les puits de fracturation hydraulique. Pour l’extraction du gaz de schiste. Les produits utilisés, rejetés dans l’eau, dans l’air, rendent tout le monde malade. Partout, l’eau est non potable. L’air pique les yeux et gratte la gorge. Stonewall, le petit frère d’Amy est né avec des malformations dont elle est sûre que l’environnement ultra pollué est responsable. Mais les propriétaires de tous ces puits sont riches, et savent faire taire les gens. Il y a des gardes et des barrières autour des lieux d’extraction. Les gens du coin ont vendu leurs terres aux grands dirigeants, un par un, sans se rendre compte que la petite somme qu’ils ont perçue disparaîtrait très vite, alors que le sous-sol continue a être exploité à leurs dépends..

Amy veut absolument s’en aller, et loin. Elle prépare ses documents et lettres de candidature à de grandes universités : elle veut devenir vétérinaire. D’ailleurs, elle aide bénévolement le vétérinaire de sa petite ville. Elle a d’excellentes notes au lycée, tout ce qu’elle peut pour s’en aller. Elle vit avec ses parents et son petit frère dans un mobil-home, à deux pas des ruines de la grande maison de famille : elle a pris feu il y a quelques années. Son grand-père était respecté : il était chef de la section régionale du Ku Klux Klan. Ses parents n’en parlent pas. Ils évitent : Amy est révoltée de la conduite de sa famille, des tueries. Un de ses oncles vétérinaire, renfermé, seul depuis son retour d’Afghanistan, est le seul à lui montrer de l’attention, l’aide pour ses dossiers, lui parle de la famille, de la guerre, des terroristes, et lui apprend à tirer. Lui offre une arme. Amy est gênée, et elle se pose beaucoup de questions à propos des opinions de toute sa famille, tout pour la suprématie blanche.

Autour d’elle, il y a des ados qui se droguent et boivent, enfermés eux-même dans le désespoir et la pauvreté. Des policiers, dont un qui est un universitaire accompli, qui est philosophe, cultivé, mais qui n’hésite pas à tuer en cachette les « mauvaises graines ».
Tous les parents sont au chômage. Les jeunes n’ont aucun avenir. Tout est très noir. Lorsque Paul, un soir, ayant trop bu, supplie Amy de l’aider dans une action retentissante qu’il veut faire, il a besoin d’un pick up et d’un chauffeur : Amy est absolument contre, mais elle finit par accepter. Elle est un peu amoureuse, en fait. Et tout ça se passe mal, un homme est tué dans l’histoire, Amy n’aurait pas dû emmener son arme qui était rangée dans son pick-up. Paniquée, elle dépose Paul et cache son pick-up. Si la police remonte jusqu’à eux, son avenir et ses chances de partir sont foutus.

Un grand roman sur la noirceur de l’Amérique profonde, sur les problèmes de société : l’avenir des enfants, l’environnement, la pauvreté, les haines sociales et raciales, certains policiers qui ont un code de conduite qu’ils croient supérieur à la loi, les grandes compagnies minières et chimiques, qui ne voient que profits alors que les habitants paient le prix fort, la pollution, les croyances, les suprématistes blancs, leur héritage sociétal et familial, les relations sociales. C’est un roman d’une grande force dans la noirceur même, documenté, intelligent, qui nous fait réfléchir. Un premier roman pour John Woods, et une pépite, déjà.

Un grand merci à Francis Geffard, directeur de la collection Albin Michel Terres d’Amérique, pour cette magnifique découverte.

Lady Chevy – John Woods, Albin Michel Terres d’Amérique, Janvier 2022, 465 pages.

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