Je trouve la couverture de ce livre superbe. Vraiment. Et lorsqu’on lit la 4e de couverture, on est emballés, c’est une infirmière en EHPAD qui raconte -il est précisé « récit »- des moments de vie en Etablissement d’hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes, on nous promet « des anecdotes et une galerie de personnages bien réels », et « le quotidien d’une maison de retraite », « un vrai concentré de vie » !!!
J’avais choisi de lire ce livre, dans l’opération Masse Critique-Babelio, que je remercie.
Mais lorsqu’on lit ce livre, dès le début on s’aperçoit que, malgré le prologue dans lequel l’auteure nous assure qu’elle » laisse les gens se raconter, sans travestir leur témoignage avec [son] interprétation » (page 10), il est surtout question du rôle de celle-ci dans cet établissement. Elle interprète les pensées des résidents dans chaque petite histoire…. Les autres soignants sont appelés « agents de soins », « agent social », « aides soignantes », pas mis en valeur, eux …
Au début du livre elle nous raconte une admission, puis 24 heures dans l’établissement, soit des mouvements de fauteuils, des mises à la sieste, des distributions de médicaments.. (son rôle). Puis on apprend qu’elle est Infirmière en chef, puis ailleurs qu’elle est Infirmière Coordinatrice. Elle fait tout, en somme, sauf qu’on se rend compte bien vite qu’en racontant des instants avec des patients, qui se mesurent parfois en secondes, elle ne les connait pas. Elle aide à chercher une paire de lunettes perdue, et découvre que la résidente en question, Valentine, aime lire et regarder la télé ! (incroyable!)..
Elle raconte d’autres « anecdotes » sans grand intérêt, de mornes descriptions de résidents assis en rang d’oignons au bord d’un canapé, ou allongés dans leur lit, elle se met à chaque fois en valeur dans les « anecdotes », et, ayant changé le nom des patients, une vieille dame qu’elle appelle Valentine devient Victorine dans le paragraphe suivant ( ça arrive deux fois dans le livre)… l’auteure, Virginie Molliere, se met en scène comme l’héroïne qui ramène le calme, la sérénité, le sac perdu, l’album de photos posé trop loin… c’en est presque risible. Une vieille dame, Hortense, la laisse entrer dans son « logement » (sa chambre), et l’infirmière d’écrire « Recroquevillée dans son fauteuil, un mouchoir à la main, elle m’avait désigné un siège et proposé gentiment du thé et des madeleines. Je m’étais sentie invitée à pénétrer dans son passé, comme Proust lorsqu’il écrivit « À l’ombre des jeunes filles en fleurs » ( page 57)… !!!
C’est tellement risible de voir qu’elle se décrit découvrant des résidents qu’elle avoue n’avoir croisés qu’une ou deux fois dans les couloirs, alors que le but de ce livre est à priori de rassurer les proches, ou les gens qui vont placer un parent, ou des « futurs vieux ».
Les seuls moments qui auraient pu être intéressants pour avoir un éclairage nouveau sur la vieillesse en Établissement sont : les histoires d’amour entre résidents, dont elle dit ne pas vouloir parler (pourquoi??) et ce qui m’a paru intéressant est lorsqu’elle écrit que c’est une chose que les proches rejettent et vont jusqu’à interdire, et que les soignants sont gênés face à ça. Moi, ça, j’aurais bien voulu qu’elle développe. La deuxième chose est la « réunion des familles », qui permet à tous de comprendre qui est qui, qui fait quoi, et l’organigramme. Malheureusement cette réunion n’a jamais eu lieu dans l’EHPAD où elle travaille, mais dans un autre établissement au début de sa carrière.
Elle parle de « l’odeur délicieuse de la soupe flottant dans la salle » (j’ai des doutes sur le « délicieuse »), de « collation gourmande » pléonasme désespérant..
Le but n’est pas atteint. On sent bien qu’elle voudrait renverser l’image déplorable des EHPAD actuellement, des maltraitances, du manque de personnel, mais à force de clichés lénifiants, il y a de quoi désespérer et l’auteure s’enferre dans une vision tristounette de cet établissement, et ça va à l’encontre du but de ce livre.
Par contre, on ressent très fort le fait qu’elle se glorifie de son grade d’infirmière coordinatrice, à tel point qu’elle renvoie une image de femme imbue d’elle-même.
L’écriture est fade, prise parfois d’envolées lyriques sur les vieilles personnes qui ont « les larmes aux coins des yeux », etc. Elle mentionnera une seule fois un cas unique de maltraitance verbale, le fautif aurait été licencié sur-le-champ. C’est triste à lire, mou, terne, inutile.
Inutile de dire que ça m’a mise en rage.
L’âge fragile – Valérie Molliere, Ateliers Henri Dougier, 166 pages, novembre 2018, 14€
Merci,pour cette analyse, pertinente, comme toujours…
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