Philippe Annocque s’est appliqué à déchiffrer les cartes postales de son grand-père, Edmond, adressait à ses parents alors qu’il était prisonnier de guerre en Allemagne, de 1916 à 1918. Ses mots d’aujourd’hui – explications, réflexions, exclamations, questions – se mêlent à ceux écrits pour dire, 100 ans plus tôt, le rien des jours qui se succèdent indéfiniment et ceux qui se ressemblent infiniment. Mais, le rien n’est pas anodin, et le prisonnier de guerre, contraint par la censure, occupe de son écriture resserée jusqu’à l’illisible l’espace restreint des cartes, pour dire tout simplement qu’il est vivant.
Dans « Mon jeune grand-père », l’auteur superpose sa lecture à ce qu’il retranscrit, et cette lecture aussi il la donne à lire. (Résumé Editeur)
Mon résumé : L’auteur se plonge dans les objets et souvenirs de famille, et décide de retranscrire le paquet de cartes « postales » -devenues presqu’illisibles – écrites par son grand-père, Edmond Annocque, lorsqu’il était prisonnier pendant la Grande Guerre. C’est un travail difficile, ces cartes ont cent ans, et sont écrites au crayon de bois, en tout petit sur l’espace minuscule laissé par l’administration Allemande, la censure l’empêchant de parler de quoi que ce soit de la vie au camp. Il a été « pris » avec son ordonnance, après que les Allemands aient passé leur tranchée au lance-flammes. Ce sont les seuls survivants, mais ils sont séparés, Edmond étant officier, il est envoyé à l’Officiergefangenenlager In Posen (camp de prisonniers des officiers, à Posen, en Pologne, alors Allemande). Les prisonniers ont le droit de recevoir du courrier (en passant par les services de la censure), d’en écrire (6 cartes par mois), et de recevoir des colis.
On se rend compte, à la lecture de de travail de réécriture, que le courrier, dûment daté, sert à rassurer sa famille avant tout, à accuser réception des lettres reçues, des colis et des contenus. Il réclame, demande également telle ou telle denrée, du lard, des haricots, des vêtements, des matériaux (du cuir pour réparer ses brodequins, par exemple) . Le pain est un sujet central, il arrive moisi, pendant ces deux ans de captivité. Edmond fait passer certains messages pour un oncle, une tante, un ami, et c’est souvent là que l’auteur, le petit-fils, ajoute ses réflexions à propos des personnes mentionnées. Qui est « Maman Marie », qui est Monsieur Desmarets… les nouvelles de son frère Louis, appelé lui aussi, libre d’avoir des permissions pour revenir en famille, la santé de chacun est évoquée.. Edmond a mal à l’estomac. Il n’a que 22 ans, cette maladie l’emportera huit ans plus tard. L’auteur du livre ne connaîtra jamais ce jeune grand-père. Ces mots écrits sont pour lui une manière de le faire revivre, faire revivre sa mémoire, son passé, faire connaissance avec cet inconnu, pendant une guerre dont on célèbre cette année le centenaire de l’armistice.
Mon avis : Ce petit livre, au format original, presque carré, est un duo. L’écriture d’Edmond, l’écriture de Philippe. Presque une conversation. À chaque sujet étonnant ou inconnu relaté par Edmond, Philippe entremêle ses questions, ses suppositions, parfois le résultat de ses recherches. Je ne savais pas que dans ces camps, les colis de livres, de vin, de vivres divers et variés étaient possibles. Philippe Annocque évoque souvent le film de 1937, « La grande Illusion »… et je suis allée voir quelques extraits. Effectivement, il se passait des choses (évasions, morts, relations entre diverses nationalités) qui ne seront jamais évoquées dans le courrier d’Edmond. Cela m’a donné envie d’en connaître plus sur cette période.
Émouvant, prenant, ce dialogue entre grand-père et petit-fils, cet amour filial qui se voit dans les cartes d’Edmond, l’importance absolue des relations familiales, me semble un trésor. À lire. À conserver. C’est un document magnifique.
Je remercie Paul Bailly, qui m’a offert ce livre et un autre, et je remercie Philippe Annocque pour les dédicaces (à l’aveugle): oui, c’était pour moi !
Mon jeune grand-père – Philippe Annocque, editions Lunatique, nov.2018, 20€