Comme des pas dans la neige – Louise Erdrich

1912. Les Etats-Unis, et en particulier les Premières Nations, se remettent à peine d’une pandémie de variole amenée par les Blancs. Les Indiens Ojibwés dans une réserve du Dakota du Nord ont péri par milliers. Ensuite vint la consomption, la tuberculose, qui annihile aussi les réserves indiennes. Les Blancs, autour, en profitent pour spolier les terres « vacantes » et s’ils trouvent des habitants, leur font signer des « traités » qui, profitant du peu d’instruction de beaucoup d’entre eux, ne font que voler les terres contre un peu de ravitaillement. Si peu d’autochtones encore vivants, tant de terres, de bois à abattre, de lacs à s’accaparer, seuls certains se battent. Comme le vieux Nanapush, qui a été « élevé » chez les Jésuites et combat la croyance nouvelle des français catholiques de la Mission du coin. Le jeune père Damien, qui dirige péniblement la congrégation, a beaucoup d’empathie pour les indiens malgré tout. Il semble reconnaître le fait que les terres sont volées par les blancs, et que les pensionnats détruisent la culture Ojibwé, comme celle de toutes les autres tribus.

Une troisième plaie s’abat sur la Réserve : la famine. Les hommes sont morts de maladie, les femmes, les enfants aussi. Il reste peu de bras pour l’élevage ou la récolte de nourriture. Peu de forces pour chasser. On trouve des morts partout. Nanapush, en mission de reconnaissance avec un membre de la police tribale, découvre une jeune rescapée dans la maison des Pillager, au milieu de sa famille morte de faim. Il l’emmene, et peu à peu la guérit. Elle s’appelle Fleur, elle a dix-sept ans. Fleur est une battante, avec la medecine indienne du vieux Nanapush elle reprend goût à la vie, et comme elle descend des Pillager et de sa grand-mère « Quatre Âmes », elle est forte et indépendante.

Nanapush est le principal narrateur, car il connait les histoires anciennes, se tient au courant de tout ce qui se passe, résiste de toutes ses forces contre les envahisseurs, et sert de « mémoire vivante » pour les familles autour, pour la réserve. Les traditions sont enseignées par oral, les légendes également, les écrits n’existent pas, en dehors des symboles peints. Nanapush raconte l’histoire de Fleur, sa fille adoptive, qui a reçu non seulement la mémoire familiale, mais aussi celle de Nanapush qui peut parler et raconter des heures, des jours, tout à son goût de la parole, à la nécessité de transmettre l’histoire, et aux lentes guérisons.
Fleur, flamboyante beauté qui fait tourner toutes les têtes mais qui choisira son amoureux. Fleur qui s’est noyée deux fois mais a été sauvée, dit-on à cause du démon du Lac qui lui obéit. Fleur qui chasse, fait pousser des graines et des fruits. Fleur qui sait guérir.

L’autre narratrice est Pauline, une métisse, qui regarde et voit tout, mais contrairement à la généreuse et intelligente Fleur, elle semble, elle, muée par la jalousie et l’envie. Elle se sent moins-que-rien, mais elle trouve une force ailleurs, en se faisant « nonne » à la Mission, et s’inventant des tortures pour elle-même, pour devenir extrèmement remarquable pour Dieu.

Dans la deuxième partie du livre, « Quatre âmes », on voit Fleur, veuve, entrer comme domestique dans une immense maison de Minnéapolis, avec le but cacher de se venger du chef de maison, celui qui lui a volé sa maison, ses terres, ses bois, son lac.
Nanapush continue à raconter pour nous ce que nous n’avons pas vu. Et racontant l’importance de la Terre, qui appartient à tous et à personne, la terre qui est femme, les femmes qui sont à l’origine de tout, de la force et de la survivance des Premières Nations. Et qui sont héritières des femmes puissantes des générations précédentes.

Ce livre, qui est fait de deux livres réunis pour la première fois, écrits à vingt ans d’écart par Louise Erdrich, est à la fois une saga, un livre d’aventures, une transmission de l’histoire Ojibwée, et une ode à la force de la terre, à celle des femmes, et du courage des survivants. C’est aussi un roman de légendes, légendes indiennes et d’apprentissage de la résistance.

C’est mon troisième livre de Louise Erdrich, après « Celui qui veille », et « La Sentence« , cette pure merveille. Trois livres très différents, mais honorant la résistances des Premières Nations.

Je remercie les Éditions Albin Michel Terres d’Amérique pour leur confiance.

Ma note : 4 sur 5 (parce que j’ai préféré « La Sentence »

Comme des pas dans la neige – Louise Erdrich, editions Albin Michel Terres d’Amérique, 435 pages, novembre 2024

8 commentaires

    • Et qui trouve comment raconter les contes et légendes et façons de penser de ses ancêtres. Elle possède une librairie à Minneapolis, elle en parle superbement dans « La Sentence » qui reste de loin mon livre préféré d’elle. J’en garde un souvenir très présent, en fait. Et de ses soucis avec ceux qui se présentent comme descendants d’un tel ou untel indien autochtone, qu’elle remballe vite fait, vu ses connaissances historiques et généalogiques…

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