La Sentence – Louise Erdrich

Autant j’avais eu beaucoup de mal l’an dernier avec « Celui qui veille », autant ce Louise Erdrich-là me passionne.
Étonnant. On jurerait que ce n’est pas la même auteure. On est en plein dans le territoire Ojibwé/Dakota/Cree, et dans une librairie avec beaucoup de livres « Autochtones », des bijoux faits mains, des cadeaux, avec des vendeuses absolument du tonnerre, bien sûr toutes indiennes. Et fières. Et c’est plein d’humour. Et de profondeur. Et d’esprits.

L’histoire : Tookie est une jeune Amérindienne du Minesota, qui, au début du livre, se fait arrêter pour avoir convoyé un ami mort d’overdose d’un état à un autre, elle est en fait piégée par deux amies, et se retrouve en prison pour 69 ans. Elle qui aime lire recoit d’une de ses profs un dictionnaire, et cherche le mot : Sentence. Un mot qui en anglais signifie « condamnation » mais aussi « phrase ». Et les exemples donnés pour phrase sont « La porte est ouverte » et « Fonce ! »… La jeune Tookie va foncer dans la lecture de tous les livres possibles, devient une lectrice acharnée et grâce à son avocat, pourtant commis d’office, elle sort au bout de neuf ans. Elle a la quarantaine lorsqu’elle sort. Elle épouse Pollux, ami d’enfance et ex-flic, c’est même lui qui l’a arrêtée. Clean, elle a fait ses preuves, et est embauchée dans une librairie qui vend beaucoup de livres d’Amérindiens, sur les Amérindiens, des livres contre le racisme, des livres engagés, des livres féministes, mais bien sûr aussi de la littérature plus générale.

Tookie est la narratrice, alors on suit aussi bien sa vie privée avec Pollux, qui est très investi dans la culture indienne, fabrique les ornements en plumes d’aigle et les coiffes traditionnelles pour les pow wow et les cérémonies, que sa vie quotidienne dans la librairie, avec les autres vendeuses, qui ont fait des études, sont engagées, et sont aussi des grandes lectrices. On fait connaissance avec des clients de toutes sortes, ceux qui ne sont jamais satisfaits, ceux qui râlent, ceux qui cherchent, les « wannabe Indiens » c’est à dire les gens qui se prétendent descendants de telle ou telle tribu, ou de tel grand chef, mais dont les prétentions s’écroulent lorsqu’on leur pose des questions basiques sur ce qu’ils disent… les clients exténuants, comme Flora, une vieille dame prétendument indienne, qui lit tout ce qu’elle peut sur « son héritage »…

En même temps, la réalité s’invite dans la fiction, car voilà la pandémie de Covid 19 qui frappe, les commerces « non essentiels » ferment. C’est une catastrophe, pour la librairie et ses employées. Elles s’en sortent avec les commandes passées par téléphone ou internet, et expédient les livres. Et travaillent seules, une à la fois. Et voilà que Flora qui est morte d’une crise cardiaque, vient hanter la librairie. Tookie l’entend la première, les froissements de robe, le bruit de ses talons, et finalement toutes les vendeuses sont obligées de faire avec cet envahissement invisible mais bien présent. La faire partir ne sera pas une sinécure.

La librairie se situe à Minneapolis, et George Floyd qui y habitait vient d’être assassiné par des policiers. « I cant breathe » . C’est la révolte parmi les gens de la ville, des manifestations, des protestations ont lieu, Noirs, Amérindiens, Blancs manifestent. Les gens de la librairie s’impliquent. Les policiers sont très mal vus, il y a des échauffourées partout dans la ville. Et Pollux, le mari de Tookie, est un ex-policier. Donc les discussions chez Tookie sont parfois houleuses, avec leurs invités.

Ce livre est d’une chaleur incroyable, on aime chaque personnage, on apprend beaucoup sur la culture amérindienne, sur le fonctionnement d’une librairie – elle existe réellement, cette librairie, c’est celle de l’auteure, à Minneapolis : Birchbark Books -d’ailleurs ce livre est dédié aux clients et à tous ceux qui y ont travaillé.

https://birchbarkbooks.com/#

J’aurais aimé que le livre ne finisse jamais. C’est un coup de coeur, un énorme coup de coeur.
Un immense merci aux éditions Albin Michel Terres d’Amérique pour leur confiance.

Ma note : 5 sur 5

La Sentence – Louise Erdrich, éditions Albin Michel Terres d’Amérique, septembre 2023, 433 pages.

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