Son empire – Claire Castillon

J’avoue que j’ai beaucoup de mal à faire cette chronique. À, en quelque sorte, « juger » ce livre. Parce que je l’ai lu d’un trait, voulant savoir jusqu’au bout comment l’histoire se terminait. Mais ce malaise, poisseux, tout le temps, et même après, c’est le pire.
C’est l’histoire, racontée par une petite fille, sept ans au début du livre, de sa mêre face à un homme qui s’installe dans sa vie. Cette petite fille ne regarde que sa mère, et raconte ce qu’elle voit d’elle, son « aura » lumineuse lorsqu’elle est visiblement séduite, et sa façon d’être « à la besogne » lorsque cet homme la rabaisse. Quand elle se recroqueville, ne dit rien, fait des choses : ménage, rangements, couture, n’importe quoi. Pour échapper aux reproches incessants de cet homme.

Cet homme-là essaie de séduire l’enfant, en la mettant en avant, en jouant avec elle, même dans ses jeux de rôles avec les poupées, les peluches, et la maison de poupées. Ce qui lui donnera maintes occasions de sermonner la mère sur la façon dont « on s’occupe d’un enfant, dont on l’éduque ». L’homme, mettant la petite fille de son côté, se permet, un peu à la fois, de reprendre la mère sur sa relation avec sa fille, en mettant les deux en porte-à-faux. Il met la zizanie. Partout où elles vont, le mercredi, le Samedi, ou après l’école, elles le trouvent sur leur chemin. Il s’impose. Il dramatise le moindre incident, n’importe quel mot est sujet d’un drame qui dure des heures. Rien que l’histoire des biscuits, tiens. Un jour, la mère achète des Pims pour le goûter de sa fille. Qui lui a donné l’idée ? Qui? Quel homme aime les Pims, tu as dû rencontrer un homme, qui t’a parlé de Pims, sinon pourquoi acheter des Pims subitement ? Du coup, la mère revient aux Palmito. Pour le calmer. Il faut absolument le calmer. Même si il les invite à prendre un café au coin de la rue, il déclare soudain que lui ne prend rien. Et il paye avec des pièces jaunes, tout un tas. Il ramène des « cadeaux » qui sont en fait des choses gratuites, il s’invite, se fait prier une fois, deux fois, trois fois, il accepte, et dévore le repas. Il fait de grandes promesses, des voyages, des spectacles, qui s’avèrent être plutôt décevants ou malvenus. Il s’incruste, il isole la mère de ses amies, de sa famille, même de son travail. C’est une emprise profonde sur la mère, que l’on voit à travers les yeux d’une petite fille. Qui n’est pas naïve du tout, on le sent bien. Elle rapporte les phrases, les tensions, l’état de sa mère, qui se fait manipuler par un gros type du genre harceleur, gêneur, narcissique, pédant, mythomane, voleur, radin, égocentré, histrionique. Cet emprise, son empire. Le genre de violence psychologique qui détruit. Et pendant tout ce temps, nous, lecteurs, on devient spectateurs de cette monstruosité à laquelle cette femme est soumise, et malgré le twist final, ce sentiment de malaise qu’on a à lire par le menu les manipulations de cet homme, qui nous collent à la peau comme un chiffon graisseux. C’est très moche, et c’est difficile de se débarrasser de ce sentiment d’énorme malaise.
J’ai essayé de me changer les idées après avoir fini ce livre, mais pas moyen. C’est resté collé sur moi jusqu’à ce matin. Alors qu’en penser ? Claire Castillon a réussi ce qu’elle voulait faire, c’est à dire démonter cette horreur qu’est l’emprise malsaine. Mais du coup, le livre m’a laissé uniquement avec cette sensation de malaise. Je m’en serais bien passée, mais il faut saluer le style et la réussite de l’auteure. Mais c’est pour moi impossible à juger.

Son empire – Claire Castillon, Gallimard, sortie le 19 Août 2021, 160 pages.

14e livre de la Rentrée Littéraire Automne 2021

8 commentaires

  1. Le sujet est sensible pour moi. Mais je trouve que c’est une bonne chose qu’on commence sérieusement à parler de ces violences. Si il y a malaise c’est que l’auteur a su exprimer l’inexprimable. Rien que pour ça, je le note. Merci pour votre retour.

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  2. Ta chronique, même si tu ne savais pas trop comment la démarrer, est très réussie. On ressent bien le malaise. Il est important que des romanciers abordent ce sujet. Cela permet de mieux comprendre ce que les victimes de ces harceleurs-manipulateurs vivent et à quel point elles sont emprisonnées dans une relation toxique.

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