Revenir fils – Christophe Perruchas

Troisième roman de la Rentrée Littéraire, deuxième coup de coeur pour moi, deuxième roman de l’auteur, Christophe Perruchas.
Le livre s’ouvre sur une femme en train de bricoler, de réfléchir, on est en 1987. « Les boites de Nesquick, on ne les jette pas. Dedans, quand elles sont vides, on met des épices, des condiments, de la farine. Ou du sucre. Mieux, on les habille d’une sorte de tissu plastique. On colle bien, on évacue les bulles d’air. Et puis on les aligne sur la table de la cuisine, les trois, cinq, huit boites qui débutent la collection[‘..] » C’est le « on » qui parle, qui pense. C’est une mère, une femme à la fin de la quarantaine. Une épouse au foyer. Au chapitre suivant, c’est son fils qui pense. Qui parle. Il a 14 ans, et se fiche de plus en plus de ce que sa mère fait, avec ses collections de tubes de smarties, leurs bouchons qui « peuvent servir » lorsqu’elle fera de la peinture. Lui vit sa vie de collégien, d’ado qui regarde les filles, qui a quelques amis, il commence à fumer des Marlboro, et rêve d’une mobylette, comme ses copains en ont. Il rêve d’embrasser des filles, deux au moins.
Les chapitres s’entrecroisent , la mère-« on », le fils, et le choc du père mort dans un accident de voiture, qui rebondit chez la mère sur le premier deuil, en 1961 de « l’enfant Jean », bébé décédé du syndrome de mort subite du nourrisson. D’ailleurs la chambre du bébé est toujours là, intacte. La manie de collectionner « ce qui pourrait servir » de la mère commence à être un peu encombrante : elle récupère des verres ébréchés, de son club de poterie, en se cachant des autres. Mais comme on lui réclame les paniers dans lequels on les avait mis, elle élude : elle ne veut pas les rendre, même si sur l’affichette il était précisé qu’on pouvait se servir, mais laisser les paniers. Elle garde les pots de yaourts en verre, ça peut servir, mais elle n’a pas pensé à les laver et à oter l’étiquette avant. Il y en a bien trois cents, maintenant. Elle les met dans une grande cuve, elle la remplit avec le tuyau d’arrosage, elle ne fait pas attention à ses chaussures trempées, à son pantalon qui prend l’eau, et puis elle n’arrive pas à les nettoyer. Elle laisse tomber pour le moment. Elle pense aux biberons, dans çette valise au grenier…
L’ado, commençant à trouver sa mère fort occupée avec ses objets de récupération, décide de s’installer dans la caravane qui est dans le jardin : le père mort, il n’y aura plus de vacances au camping. Il ne rentre à la maison que pour manger, et sa mère et lui ne se parlent même plus : elle se parle à elle-même, souvent. L’ado a 15 ans, et ramène sa petite amie pour passer les nuits ensemble, et le soir c’est là que les copains viennent pour les bières, les clopes et les délires. Jusqu’au jour où il est appelé par le proviseur et l’assistante sociale : on a retrouvé sa mère en chemise de nuit sur le parking de la supérette, en train « d’accoucher » de dizaines de vêtements de bébé sentant la naphtaline. Elle est internée, mais le choc fait qu’elle ne reconnaît pas son fils. Dans sa tête il n’y a que l’enfant Jean. L’ado part vivre chez son oncle et sa tante, à des kilomètres de là.

Deuxième partie, on est en 2007. L’ado a grandi, il est marié, il a deux enfants qu’il adore. Avec sa femme, ça ne va plus trop. C’est l’été, les vacances dans l’appart des beaux-parents qu’il déteste, avec eux, en plus, il décide d’écourter et de repartir au travail. C’est ce qu’il dit. Mais en fait, il décide d’aller voir sa mère, celle qui l’a « orpheliné de son vivant ».. Il essaie de la voir, d’abord de loin, il la voit sortir avec son petit chariot de courses, mais au lieu de faire des courses, elle récupère des choses qu’elle trouve sur son chemin, voire dans des poubelles. Il décide coûte que coûte de se présenter à elle, et de se rendre compte de la façon dont elle vit, et de sa réaction en le voyant.

Et c’est là une description dérangeante de la vie d’une personne âgée atteinte de ce qu’on appelle en france « Le Syndrôme de Diogène », ce qui n’est pas très explicatif de la chose – l’auteur s’est rapproché du neuro-psychiatre Dr Saladini, qui a co-écrit « Le collectionnisme des entasseurs pathologiques » (un livre que j’aimerais trouver), ce titre est bien plus évocateur des mécanismes de cette maladie neuro-psychiatrique- enfin on découvre comment une personne vit dans des espaces restreints, des « chemins » entre les piles d’objets et d’ordures montant jusqu’au plafond d’objets récupérés, sentant l’urine, la pourriture, la vieille charogne et les excréments, et ce fils s’y installe presque, regardant sa mère, regardant les objets, les entassements.

C’est extrêmement bien décrit, bien écrit, avec de la pudeur cependant, et un respect de la personne, la mère, aimant ces ordures plus que tout.
Un portrait d’une atteinte psychiatrique tout en étant le regard d’un fils sur sa mère malade. Un vrai coup de coeur pour moi. Je l’ai lu d’un seul trait.

Ce phénomène psychiatrique est peu connu en france, par contre aux USA et au Royaume Uni c’est différent, il y a des reportages, des faits divers, et même des séries d’émissions sur les « hoarders », sur le phénomène mental du « hoarding ».

Revenir fils – Christophe Perruchas, editions du Rouergue, 280 pages, sortie le 18 Août 2021

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