Rien ne t’appartient – Nathacha Appanah


Lorsque je rentre dans un livre, je ne veux rien savoir à l’avance. Sauf parfois, le nom de l’auteur. Jamais de 4e de couverture. Je plonge. Et soit la vague m’emporte, soit je reste sur place, il n’y a pas de milieu, pour moi. Et je n’avais pas non plus ce bandeau-photo du livre, c’était l’inconnu, et j’adore ça. Pour le meilleur et pour le pire.

Lorsque le roman commence, dans la première partie intitulée « Tara », l’héroïne du roman vient de perdre son mari. Il n’y a même pas trois mois. Depuis ce moment, Tara n’y arrive plus. Ni à vivre normalement, ni à manger, parfois. Elle a beaucoup maigri. Elle se rend compte que l’appartement est devenu un foutoir total : verres, assiettes sales, linge éparpillé, et cette odeur de marécage, métallique. Elle décide de ranger tout ça, parce qu’Eli, son beau-fils, le fils de son mari Emmanuel, doit passer. Dans pas longtemps. À peine le bras tendu vers la table du salon, elle ne sait plus. Se retrouve confuse et perdue. Et elle voit un garçon, ce garçon, assis sur le fauteuil, il arrive comme ça, de plus en plus souvent. Il ne dit rien. Il ne sourit même pas. Ses tripes lui disent qu’elle le connait, mais…. elle le connaît elle en est presque sûre ! Ses mots aussi essaient de remonter à la surface, elle le sait … enfin, elle l’a sur le bout de la langue ! Elle est confuse, commence quelque-chose et ne le finit pas. Elle ne veut pas qu’Eli la voie comme ça.


La deuxième partie est intitulée « Vijaya ». C’est une petite fille élevée par des parents érudits, le père l’instruit à domicile. Elle vit heureuse entourée d’une nature foisonnante. Rada, une amie de sa mère, lui donne des cours de bharatanatyan, une des danses traditionnelles, on met des grelots aux chevilles, un sari spécifique, les gestes doivent être précis. Vivent avec eux, sur la propriété, Roy, le jardinier qui a perdu un oeil à la guerre et Aya, qu’elle connait depuis sa naissance, cuisinière et qui est aussi celle qui lui ouvre le monde des senteurs et des goûts. La moindre odeur est un enchantement pour Vijaya, elle connait celle de chaque arbre, celle de chaque plante, leurs propriétés, la cuisine est aussi un lieu de découverte et d’apprentissage sensoriel. Tout est plaisir de vivre, les oiseaux, les perroquets, la musique, la chaleur du soleil, la fraîcheur des dalles des grandes pièces. Le toucher des fleurs et des graines, les traditions aussi, les temples des anciens dieux.

Mais un jour sa vie bascule, ses parents et Aya sont tués par des soldats. L’armée est au pouvoir. Elle se retrouve dans un endroit où elle est enfermée, puis dans un refuge, avec d’autres filles « gâchées » comme elle. On lui coupe sa longue natte de cheveux noirs, on l’habille tout en blanc comme les autres, on lui prend ses quelques objets qu’elle a pu emporter. La directrice de ce refuge lui dit « Rien ne t’appartient, ici ». On lui arrache tout, même son prénom Vijaya. Elle s’appellera Avril, comme son mois de naissance. D’ailleurs il y a ici Avril 2, Novembre 4…….Les filles travaillent continuellement telles des esclaves, elles font la blanchisserie pour les hôtels alentour, elles n’ont pas le droit de parler. Même ça leur est retiré.

C’est un livre tellement trop court, il contient tant de beautés et de tragédies qu’on en voudrait encore. La première partie, celle d’une Tara qui tombe en morceaux, on le ressent dans l’écriture de Nathacha Appanah qui, avec des phrases sans ponctuation, ou peu, nous fait ressentir l’écroulement mental de cette femme, on se demande quel âge elle a, est-ce l’Alzheimer, est-ce une maladie mentale, voit-elle des fantômes ? Pourquoi a-t-elle ce souci avec son prénom ? Dans la seconde partie, Vijaya est une enfant choyée, et on partage son monde empli de sensualité. On se pose la question de ce pays jamais nommé. J’ai passé toute cette partie-là à me demander. Vietnam ? Inde ? Indochine ? Pakistan? Sa vie continue dans des conditions tragiques propres à de nombreux pays et pourtant, de la beauté, elle en trouve, Vijaya. Et la fin du livre répondra à toutes nos questions.

C’est un livre magnifique, d’une grande beauté, c’est une splendeur de couleurs et d’ombres. Je l’ai lu d’un trait, dévoré. C’est un immense coup de coeur.

Magnifique livre reçu dans le cadre d’une opération Masse Critique Babelio en partenariat avec les Éditions Gallimard, collection « Blanche », merci pour cette lecture en avant-première.

Rien ne t’appartient – Nathacha Appanah, editions Gallimard, 159 pages, sortie ce 19 Août prochain.

14 commentaires

    • Oh oui je me demande parfois si je ne suis pas TROP exigeante…. mais comme au départ ce blog était surtout pour mes amis, je donne mon avis vraiment vraiment. Et c’est vrai que lorsque j’aime,J’AIME. Et parfois, le contraire. Je me suis trouvée l’autre jour avec le Sophie Loubière, assise entre deux chaises… ça arrive, parfois, et je le signale aussi…

      Aimé par 2 personnes

Laisser un commentaire