Si je te survis – Jonathan Escoffery

Merci aux Editions Albin Michel Terres d’Amérique, pour leur confiance renouvelée.

Il ne faut pas se fier à cette couverture légère et estivale, car le livre est plutôt noir. Plutôt noir comme une peau dans laquelle on naît, et dont on ne se rend compte qu’en se frottant à l’extérieur. Le héros du livre, le narrateur de la plupart des parties du livre, s’appelle Trelawny. Il est né en Floride de parents Jamaïcains, qui ont fui une période troublée de cette île. Quand, un jour, vers ses sept ans, quelqu’un lui demande « Tu es quoi, toi, en fait ? », c’est le début des questionnements. De la part des autres, de lui-même également. Jusqu’ici il se sentait Américain. Fier d’être né américain, de saluer le drapeau, de vivre là en Floride avec famille et cousins. Mais les copains d’école insistent « Ta mère a un drôle d’accent, elle parle quelle langue ? » « Anglais » répond Trelawny, sans s’être jamais posé de questions. Mais c’est vrai. Il s’en fiche un peu, sauf lorsqu’il invite son père à la « Journée des métiers des parents » à l’école, lorsqu’il entend son père décrire son métier de maçon. Avec ses expressions dialectales et son accent à couper au couteau. Il a honte.

Lorsqu’un ouragan dévaste la Floride, emportant le toit de la maison familiale, il est déraciné : son père reste là en Floride avec son frère ainé, et lui doit suivre sa mère qui a trouvé un travail dans le Midwest. Il perd cette communauté familiale et se retrouve à nouveau questionné sur ce qu’il est, à l’école. Latino ? Portoricain ? Il essaie de rentrer dans ces groupes, mais un problême surgit : il ne parle pas espagnol. Et l’espagnol est la deuxième langue parlée en Amérique. Toute son enfance, son adolescence, à la fac cette question est au centre de sa vie. Lorsque son frère avait fini par lui dire quelques années plus tôt « Tu es Noir », c’était la panique. Il voulait bien être noir, mais pas noir d’Afrique. Les Afro-Américains étant tout au bas de l’échelle de la considération américaine. Alors il finira par dire Jamaïcain, lorsqu’on le pressera. Il fera un long séjour en Jamaïque, où tout le monde connait tout le monde, à Kingston, et où il s’apercevra que le brassage des populations depuis les différentes colonisations a fait que la couleur n’est pas un gros souci.
Aux USA il a beaucoup de mal à trouver du travail pour payer ses études de littérature et d’Anglais. Rejeté par son père, avec une mère absente, il se retrouve souvent sans domicile, dort dans sa voiture, ou trouve des combines pour dormir au chaud. Parce qu’il est noir. Pas tant que ça puisqu’on continue à lui poser la question « T’es quoi, toi, en fait ? » (d’ailleurs je vous mets une photo de l’auteur, car ça m’a l’air très autobiographique…)

Dans sa recherche incessante de son identité, il va jusqu’à faire un test génétique : les résultats tombent : il est à 59,9 % européen et à 38% d’afrique de l’Ouest. Ce qui ne l’avance pas plus dans sa quête.
Dans certaines parties du livre, c’est un cousin qui parle, ou une autre fois, son père. Trelawny a vraiment des relations désagréables avec son père et son frère, pour lesquels « il ne travaille pas ». Pourquoi l’université, pourquoi vouloir devenir professeur et n’avoir pas de toit ? Et presque pas de quoi se nourrir ?

C’est tout le sujet du livre : l’identité ethnique. Finaliste du National Book Award et du Booker Prize, Si je te survis marque l’entrée en littérature d’une formidable nouvelle voix. À le lire, on comprend comment l’ethnicité est au centre des questionnements, des luttes aux USA. L’émergence de luttes pour la reconnaissance des Premières Nations et de leur héritage, etc. Comment est on perçu ? Comment percevoir l’autre ? « Tu es quoi, toi? » Est une question centrale. Sociétale. La lutte américaine contre le racisme trouve là un fer de lance.

Ma note : 3,5 sur 5 (à cause de certains passages un peu longs)

Si je te survis – Jonathan Escoffery, editions Albin Michel Terres d’Amérique, octobre 2024, 320 pages.

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