C’est la Rentrée littéraire ! Mon premier choix se porte sur « Avec toute ma rage ». Découvert par pur hasard il y a cinq ans lorsque j’ai commencé mon blog, j’ai tout de suite accroché avec l’ambiance des livres de Jérémy Fel. Et les histoires. Et ça continue. C’est du noir, du très noir.

Quatre jeunes filles, Juliette, Chloé, Manon et Thaïs partent pour la première fois seules en vacances : on est en Février, rien de tel que quinze jours de vacances pour oublier le lycée et la grisaille. Elles ont dix-sept ans, mais Juliette, de quelques mois l’ainée des trois autres, est majeure et a son permis. Les filles ont opté pour l’Afrique du Sud.
(L’afrique du Sud ? Le pays le plus dangereux du monde ? Et j’en sais quelque chose : un de mes frères a épousé une Afrikaner – grande, blonde, yeux bleus- et ils vivent là-bas depuis plus de quinze ans. Ariane, ma belle-soeur, raconte que plus jeune, quand elle partait seule travailler, elle avait toujours une arme sur le siège passager !! Bref.)

Les filles ont réussi à convaincre leurs parents de leur prudence, d’ailleurs un ami de la mère de Chloé, la narratrice de la première partie,vit là, au Cap, et leur louera une voiture pour le séjour. Les filles se sont connues au lycée, le duo d’amies Chloé-Juliette ont sympathisé lors d’une heure de colle avec Manon et Thaïs, des filles extrêmement populaires, jolies, plus que jolies même, vivant dans le milieu branché de l’édition. Le père de Manon est le directeur de publication d’une des plus grandes maisons d’édition françaises, et il a une soeur jumelle qui est la mère de Thaïs. Ces filles nagent dans le luxe et leurs parents ne semblent pas trop s’occuper d’elles. Chloé, elle, adore ses amies, même si elles sont souvent superficielles voire dédaigneuses du reste du monde. Arrivées à la villa de location, c’est champagne, et photos qu’on poste sur Instagram. La musique est à fond, on s’installe chacune dans une des chambres de grand luxe, on se fout de la tête de la propriétaire qui leur donne les informations à savoir pour la maison et la sécurité, et c’est parti pour la plage de sable fin. Re-photos, re Instagram, bain de soleil, l’eau est bien trop froide pour se baigner. En rentrant à la villa, elles décident de choisir une boite bien côtée sur Internet pour sortir ce soir, et la voiture promise pour leur déplacements arrive, amenée par le fameux Albert, la cinquantaine défraichie, un peu collant. Après s’en être débarassées, elles vont au DecoDance Night Club, très fréquenté, et se lâchent. Thaïs, comme toujours à l’aise partout, fait immédiatement connaissance avec deux jeunes américains, qu’elles trouvent toutes « charmants ». L’auteur a le coup pour parler comme une fille de dix-sept ans, dans la peau de Chloé la narratrice. Entre musiques sur Spotify, films d’horreur, comme la série des Scream, regardés ensemble avec pot de pop corn entre elles, nuit courtes et tourisme dans les plus beaux spots à voir au Cap, les premiers jours passent, bien remplis, leur Instagram aussi. Le soir suivant, s’aventurant un peu trop hors des zones recommandées, elles se font car-jacker par deux noirs, réussissent à s’enfuir, finissent par appeler à l’aide le vieux Albert pour venir les chercher, à qui d’autre faire appel ? Il les sermonne, les ramène à la villa. Le lendemain, une des filles a disparu. C’est Manon. Visiblement elle n’est pas allée se coucher la veille. En pleurs, Chloé appelle sa mère, Béatrice, qui saute dans le premier avion. Et elles appellent la police. On fait connaissance avec Wayde, un policier noir, un pur cliché du flic dépressif et alcoolique.
Manon est retrouvée quelques heures plus tard, morte, torturée puis carbonisée dans une cave.
Qui a fait ça ? Qui est le coupable ? Qui sont les parents endeuillés ? Ces gens de la haute, d’une famille tellement connue pour son pouvoir au niveau culturel, capable de porter un écrivain aux nues, et d’écraser ceux qui déplaisent ? Les narrateurs sont plusieurs, acteurs des drames qui se jouent. Usant de références musicales et cinématographiques, Jérémy Fel est capable de donner un ton à chaque personnage qui devient narrateur. Une couleur, une voix, un style. Mais n’oublions pas qu’il s’agit d’un thriller, noir. Le milieu de l’édition est largement décrit comme un océan plein de requins sanguinaires. De familles dysfonctionnelles, de personnages tellement abimés qu’ils en sont devenus des psychopathes, sans aucun sentiment, sans empathie, qui agissent avec une cruauté insoutenable même envers leur propre famille. Marqués par l’assassinat de Manon dont on n’est toujours pas sûrs du coupable, les actions les plus noires et les plus perverses sont possibles. L’auteur nous retourne comme des crêpes, et il faut avoir le coeur bien accroché.
Je fais un rapprochement avec la noirceur absolue de Jack Ketchum, comme on peut aussi le faire avec « American Psycho ». Les tréfonds de certaines âmes humaines sont diaboliquement cruels et sadiques. Et ils n’attendent pas forcément le nombre des années.

Je suis restée accrochée à ce livre jusqu’au bout, on ne peut pas le lâcher. Par contre j’ai sauté le prologue, où on nous jette en pleine scène de torture. Ça arrive de plus en plus dans les thrillers, et moi je préfère m’immerger lentement dans le bain avant qu’il ne commence à bouillir. Ce livre est une réussite, dans le style comme dans l’histoire, et tous les rebondissements. Ce n’est pas une lecture pour les petites natures, je précise. Mais bon sang, le coup de poing !! Et le coup de coeur !
ma note : 5 sur 5

Avec toute ma rage – Jeremy Fel, ed Rivages, 528 pages, Août 2023