
Wow. Je ne m’attendais pas à trouver un livre comme celui-ci dans mon lot de « J’ai Lu » collection polars et thrillers !
L’auteur est une journaliste hindoue, comme son nom ne l’indique pas. C’est l’histoire, hyper documentée de deux adolescentes de 14 et 16 ans, qui vivent à Kadra, un village perdu et très pauvre de l’Inde, dans l’état de l’Uttar Pradesh, état pauvre déjà lui-même, dans le nord de l’Inde.
Padma et Lalli (prénoms changés conformément à la loi indoue), sont cousines et inséparables. Leurs maisons, plutôt des cabanes, sont accolées : leurs pères sont frères. Ils sont tous cultivateurs, la terre est transmise de génération en génération, aux fils. Le père de Lalli cultive la menthe pour la revendre a l’usine d’extraction d’huile essentielle. Le père de Padma cultive le tabac, et ils ont un verger familial qui longe leurs champs, essentiellement des manguiers. Ils n’ont ni eau courante ni électricité, ni toilettes, ni latrines extérieures, la seule chose qu’ils ont parfois c’est la télévision et des téléphones portables, basiques, qui permettent les appels, les textos et la fonction torche, bien utile le soir.
Les filles sont très surveillées comme partout en Inde, et ici encore plus : elles sont en âge d’être mariées. Et déjà les pères leur cherchent un époux. Il n’y a toujours pas de mariages d’amour dans ces villages reculés et même si les femmes éduquées existent et se marient avec l’homme de leur choix, ça se passe dans les grandes villes, et encore les notions de caste et d’honneur sont prééminentes. La moindre rumeur, le moindre désaccord peut ruiner toute une famille, car le déshonneur retombe sur chaque personne de la famille. Et la pauvreté aussi, car personne ne voudra plus ni leur parler ni faire affaire avec eux, ni épouser les autres enfants. Une, voire deux générations peuvent être perdues.
Ce soir-là, en mai 2014, les deux adolescentes partent ensemble aux toilettes, c’est à dire que comme tous les autres, hommes ou femmes, on fait ses besoins dans un champ, quasiment à la vue de tous. La nuit est déjà tombée, et c’est l’histoire d’une demi-heure au maximum, le temps nécessaire pour rentrer à la maison. Mais les filles ne rentrent pas. Or les filles, de tout âge, connaissent leur rôle par coeur : dès la petite enfance elles sont là pour seconder leur mère, aider au ménage, balayer la cour, faire à manger, s’occuper des grands-parents, s’occuper des plus petits, s’occuper des chèvres, broder ou coudre, repriser, et ensuite être mariées à un inconnu et continuer la même chose dans la famille de leur époux. Deux trésors de filles, qui ne rentrent pas, ce n’est pas possible. Les rumeurs courent, tout de suite : « Il y a des voleurs dans ton champ », « J’ai vu ta fille faire des signaux lumineux à un garçon », etc, tout le village se met à leur recherche, en pleine nuit. Qui sillonne les chemin avec sa charrette, qui avec sa moto, le moyen de transport le plus courant, et on s’y met à trois voire à quatre dessus, c’est normal. Ça dure des heures, tout le village est debout, les femmes pleurent, les enfants crient, toute la nuit on les cherche, à part le père d’une des filles, personne ne prévient la police, ça non, les policiers sont de la caste des Yadav, comme les gens du village d’à côté, comme pas mal de gens importants, jusqu’au gouvernement. Plus personne ne fait confiance à la police, ici chez les Shakya. D’ailleurs la plainte du père ne fera pas bouger les policiers. Au petit jour, on retrouve les deux filles pendues à un manguier. Et la famille étendue refuse qu’on les descende de l’arbre, en rejet des policiers Yadav. Bientôt le village entier est dans le champ de manguiers, la famille quasiment assise sous l’arbre, refusant de bouger.
La découverte et l’attitude de la famille vont s’étendre à une vitesse incroyable, entrainant toutes sortes de rumeurs, les gens des villages alentour, de la ville plus loin viennent voir, écouter, donner son opinion, à tel point qu’un journaliste s’en mêle, et quelques heures plus tard les plus gros médias et la télévision sont là, les pères donnent leur opinion, leur point de vue, les mères pleurent, voile sur le visage, les gens qui ont été là depuis le début partagent ce qu’ils pensent : ça serait un viol en réunion qui aurait fini par cette pendaison. Même des ministres se déplacent, et les infos traversent les frontières, même reprises par des médias français. L’image du manguier et des filles pendues est partagée à l’international.
Et c’est là que je me rends compte que ce n’est pas un thriller, c’est une histoire qui a secoué l’Inde et le monde. Les crimes sexuels en Inde sont monnaie courante, et pas un seul gouvernement ne peut rester sans réagir. En promulguant des lois punissant gravement les auteurs de viol, en alourdissant les peines, mais dans les faits, à part dans les grandes villes, on n’y peut rien. En moyenne il y a 100 policiers pour 100 000 personnes. Et pour des questions de corruption, énormément de choses et d’actes horribles contre les femmes ne donnent rien, à part la honte de la famille victime.
A force, la police réagit enfin, et seulement le lendemain les corps des filles sont emmenés, quatre homme désignés par un « témoin » sont arrêtés, l’enquête commence, les premiers interrogatoires, et enfin l’autopsie. Bâclée parce que les medecins légistes n’existent pas, dans l’Utter Pradesh. Toucher un cadavre rend impur, pas un medecin ne veut y toucher. L’autopsie est filmée et on se rend compte après coup que celui qui fait les autopsies est un balayeur de l’hôpital. Les médecins autour, sans y toucher, déclarent qu’elles ont été violées. Et la machine judiciaire qui essaie d’aller vite ne fait que s’arrêter en route, faute de multiples changements de juges corrompus. Un organisme indépendant, le CBI, reprend l’affaire et on comprend que vu les mensonges et les élucubrations des soi-disant témoins, les deux morts ne sont peut-être pas si simples.
Sonia Faleiro a passé quatre ans sur son enquête. C’est un état des lieux sociologique sur L’Inde actuelle, la condition des femmes, les crimes sexuels, les crimes d’honneur, mais aussi la corruption totale de pratiquement toute l’autorité politique et gouvernementale. Avec des chiffres, des noms, des scandales, des horreurs, et surtout la pauvreté qui règne partout. C’est ardu, c’est complexe, mais clair. C’est une découverte en forme de coup de poing.
Ma note : 5 sur 5
The good girles – Sonia Faleiro, ed Marchialy 2022, ed J’ai Lu avril 2023, 410 pages.
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Waouh, ça va encore augmenter ma PAL ! 😉
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Au début j’ai trouvé un peu rébarbatif tous ces détails mais au fur et à mesure, l’image se précise, c’est incroyable.
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Noté direct. J’ai une passion pour ce genre littéraire. Merci !
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Mais de rien ! J’ai mis du temps pour cette chronique, à synthétiser tout ça !
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Je suis d’accord, ce sont des textes tellement denses, que c’est très compliqué d’en parler (et surtout, de transmettre les émotions ressenties dans la chronique)
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J’espère y être arrivée, ou pas loin, pour « pousser » ce livre qui mérite plus de lecteurs que les 13 de Babelio l’an dernier… et les gens de chez « J’ai Lu » ont vraiment trouvé une perle rare chez un petit éditeur !
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C’est terrifiant, cette histoire 💔❤️🩹
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Je note directe ! Merci 🙂
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Merci pour ta lecture éclairante, Mélie.
Elle est loin hein l’Inde mystique des documentaires !
Le sort des femmes est terrifiant, elles sont traitée comme des esclaves dans pratiquement toute l’Asie et l’Afrique pour ce que j’en sais. Et comme par hasard ce sont des pays où règne une corruption à tous les échelons de pouvoir.
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Cette journaliste auteure n’émet aucun jugement c’est fou, elle se contente d’exposer tous les faits. Elle vit en Angleterre désormais… je me demande s’il y aura des jours meilleurs côté femmes et crimes sexuels.
J’ai vu une horreur hier, en suivant le cas sur le net : il y a 6 mois, viol en réunion de deux petite de deux et 4 ans, pendant une fête. Les enfants retrouvées mortes sur le bord du champ.. c’est un pays horrible
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Le fait divers est terrifiant, malheureusement en Inde, les choses avancent doucement. Dur de faire évoluer tout un pays! Merci pour la découverte, je ne connaissais pas du tout.
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Il faudra du temps. L’inde en est encore au moyen âge malgré les téléphones portables et les motos
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Une histoire vraiment terrible. Bonne journée
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Et je n’ai pas spoilé : elles n’ont pas été violées, c’est plus compliqué encore !
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Comme toi je l’ai adoré et pourtant je l’avais lu dans une version « épreuve non corrigée » quelque peu fastidieuse par sa police très petite et sa mise en page très serrée. Mais malgré l’inconfort de lecture l’histoire m’avait totalement emportée. 🖤
Je suis ravie qu’il soit sorti en poche. ça le fera connaitre à un plus grand public…
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A very interesting book that tells of a very serious and widespread problem in that country. A very interesting read, even if the subject has always scared me.
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Yes the book was in a bundle I bought. I was very surprised by the seriousness of that document, it was absolutely not a novel as I thought. This book has a big place in my heart. We, in France, cannot imagine the conditions of living in India. And more, living in India as a woman. That a so sad story but now I can imagine that is happening yet again.
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