
« Pour me consoler, la petite fille revenue de la nuit pose sa main sur mon épaule, je la saisis mécaniquement : elle est fraîche et potelée, mais ce geste ne suffit pas à dissiper mes doutes. On pourra bien me dire que cette enfant a gardé son visage de la veille, que sa voix désordonnée reste inimitable, que cette pâleur dans les yeux c’est tout elle, comparer ne mène à rien. Cette enfant n’est pas la mienne. »
Emma, la narratrice de ce roman, raconte le trouble qui la saisit en revoyant sa fille Nina, disparue plusieurs heures un soir de septembre. Quelque chose dissone dans leurs retrouvailles, un « presque-rien », provoquant chez Emma une vrille qui nous plonge dans une vertigineuse incertitude. «
Le titre de ce roman-récit est très révélateur, il s’agit ici de psychiatrie. Depuis longtemps j’avais envie de le lire. C’est une mère qui est persuadée qu’un sosie de sa fille l’a remplacée.

C’est le début du livre. Cette mère est complètement désespérée, elle attend sa fille qui a disparu à la fête foraine, on lui a bien rendu une fillette qui ressemble beaucoup à Nina, mais ce n’est pas elle. Elle ne ressent rien à la regarder, puisque ce n’est pas elle. Elle s’efforce de comprendre pourquoi, va à l’endroit où était installée la fête, pendant des jours, et attend, dans sa voiture. L’enfant qui rentre de l’école essaie bien de rechercher l’attention et l’affection de sa mère, mais Emma est incapable de lui donner quoi que ce soit. Elle l’appelle « L’enfant » car ce n’est pas Nina. Elle souffre car son mari Paul ne comprend pas sa réaction. Son indifférence et sa colère contre sa petite fille. C’est du délire. Emma passe son temps dans les albums photo, et elle examine l’enfant, compare. Lorsqu’un grain de beauté sur le front de l’enfant l’interpelle, car Nina n’en n’avait pas, elle dissèque ses ressentis :
« Je repense à la théorie du punctum de Roland Barthes : sur une photographie, c’est la présence d’un petit grain, d’un défaut qui atteste de l’être cher? Ce grain de réalité est un défaut de fabrication, une disgrâce, une sorte de faute dans la texture mais qui permet de ne pas se tromper.Par ce raté qui en fait aussi la beauté, on authentifie la personne qu’on aime. Car ce stigmate produit sur celui qui regarde la photo une émotion si grande qu’il la renvoie à la véracité de leur lien. Mais pour moi, ce grain placé sur le visage de cette petite fille en face de moi la disqualifie. Il est la preuve qu’elle est fausse, que je ne me tiens pas en face de l’originale de ma fille mais de son double mensonger, du report falsifié de celle que j’ai mise au monde »
Un neurologue et un psychiatre finissent par trouver ce dont elle souffre : c’est le Syndrome de Capgras. On aurait pu traiter ce problème comme un suspense. Ce qui m’a rappelé tout de suite un épisode de « New York Unité spéciale » où une mère négligeait sa fille « parce que ce n’était pas la vraie »… mais ici l’auteure se met à la place de cette femme, et essaie de se débattre avec son cerveau, à essayer de comprendre, s’en prend à l’enfant qu’elle accuse d’avoir pris la place de Nina et de la tromper pour la faire souffrir. On ressent la souffrance de l’enfant qui sent sa mère lui devenir étrangère..
L’écriture de Stéphanie Kalfon est incisive, inventive, intelligente et intelligible, on ne peut lâcher ce livre avant la fin tant on ressent cette souffrance délirante. J’ai beaucoup aimé. À la fois ce sujet, et le style.
Ma note : 5 sur 5
Un jour, ma fille a disparu dans la nuit de mon cerveau – Stéphanie Kalfon, éditions Verticales, décembre 2022, 203 pages.
C’est effrayant la multitude de maladies mentales qui nous déchirent en même temps qu’elles déchirent notre entourage.
Rien qu’à te lire j’ai déjà le coeur qui part en lambeaux et ne me sens donc pas de taille à lire ce roman pourtant à lire absolument.
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Il a reçu un prix, récemment, d’ailleurs. Ce qui fait mal c’est qu’on pense à la souffrance de la fillette, et l’auteure a bien saisi aussi ce que traverse sa mère, piégée par une lésion au cerveau…
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C’est un livre difficile, je passe mon tour
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Saisissant ! J’ai bien envie d’essayer.
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