Miss Eliza – Annabel Abbs

Londres, 1835. Derrière le long bureau, le verdict tombe : « Une dame n’a pas à se mêler de poésie. » Miss Eliza Acton qui a déjà publié un recueil de poésie, est venue à Londres rencontrer un grand éditeur auquel elle a envoyé ses nouveaux poèmes. Elle ne s’attendait pas à cette réponse. Et certainement pas à la dernière remarque : « Écrivez- moi un roman gothique. Ça marche bien. Ou, mieux : un livre de cuisine ! Je vous publierai. ».

Dès le début du roman, j’ai été scotchée par le style de l’auteure. Dans le Londres victorien, Eliza Acton (qui a existé réellement) arrive et décrit son chemin au milieu des fossés et ordures, sous un soleil écrasant, tous les sens sont sollicités. On s’y voit. Comme dans « Le Parfum ». Poétique et réaliste à la fois, je tombe amoureuse dès le début du style de l’auteure. Rien qu’avec des mots, on se retrouve comme projetés à cet endroit.

L’histoire : Eliza, jeune femme d’une famille bourgeoise commerçante, revient chez elle après avoir reçu une fin de non recevoir d’un éditeur, qui a refusé ses nouveaux poèmes. Elle habite dans un manoir à la périphérie de Londres avec ses parents, son père est brasseur, elle a trois jeunes soeurs et un frère. Le même soir, le père rentre, complêtement paniqué : ils sont ruinés, il a fait faillite. Pour éviter la prison, il s’exile à Calais. Ils doivent tout vendre. Maison, ameublement, bijoux, terres, vêtements, et au grand malheur d’Éliza, leurs livres. Elle qui est poète et se nourrit de poèmes.
Une de ses soeurs est mariée, pas de souci pour elle. Les deux autres sont placées comme gouvernantes, le frère s’engage dans l’armée. La mère d’Éliza, femme pieuse qui gérait la maisonnée d’une main de fer, doit renvoyer tous les domestiques, elle gardera pourtant sa bonne la plus proche, Harriet.

Seule avec sa fille ainée Éliza, trente-six ans, et la bonne, elle loue une maison à Londres qu’elle transforme en pension de famille. Harriet fait de la piètre cuisine, alors pour garder ses hôtes, Eliza se propose de prendre en mains la cuisine. Mais les livres de cuisines existants ne sont que deux, et les explications sont compliquées, peu précises, et surtout mal écrites, à son avis.

Alors elle l’écrira, ce livre de cuisine. Avec l’aide d’Ann, très jeune fille d’une famille extrêmement pauvre, recommandée par le Pasteur et sa femme, qui dirigent leur paroisse comme si les paroissiens leur appartenaient. Eliza qui a un palais délicat, décide des premières recettes, Anne note tout sur une ardoise, et si c’est raté elles recommencent. Le soir, Eliza recopie donc les recettes réussies avec la liste des ingrédients à part, la longueur de cuisson, etc, mais le plus joliment possible, voulant que ce livre puisse être lu aussi comme un livre, par les amateurs de bonne et saine cuisine.

Malgré une mère qui doute de ses capacités, et qui essaie de marier Eliza à chaque vieux veuf qu’elle rencontre, Eliza et Jane feront un tandem parfait pendant dix ans, et ce livre sera réédité jusqu’en 1960.

Je regrette juste un peu que les sens éveillés par ce livre ne deviennent que le goût et l’odeur, car tout se passe essentiellement dans la cuisine, même si chaque chapitre, qui porte le nom d’une recette, est en fait le récit , le roman d’Eliza et de sa vie avant et pendant, idem pour Ann, elles parlent chacune leur tour. C’est un formidable voyage dans la société anglaise des années victoriennes. J’ai adoré.

Ma note : 5 sur 5

Miss Eliza – Annabel Abbs, editions Pocket, 439 pages, septembre 2023

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