Le bal des folles – Victoria Mas

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Un coup de coeur pour ce premier roman de Victoria Mas (au passage, c’est la fille de Jeanne Mas, chanteuse de la fin des années 80). Des premiers romans lus depuis le 21 Août, il se dégage de celui-ci une simplicité et une force peu communes.

« Le Bal des folles », au départ, fait écho en moi à « La salle de bal » d’Anna Hope, lu très récemment. Mais le contexte est tout-à fait différent. Le titre fait référence au  très couru  Bal des Folles, où Charcot invitait le monde des medecins, journalistes, étudiants, personnalités politique ainsi que le Tout-Paris pour assister à un bal costumé. Pour la mi-carême, les femmes jugées folles de l’hôpital y dansent ou y font des crises devant le public assis sur des banquettes, quasiment au spectacle. Il existait aussi un Bal des Épileptiques… ce dans les années 1880 à 1900 environ.

Dans ce roman, on fait la connaissance de Louise, qui est « sujet » au cours que donne le Pr Charcot, qui est persuadé que l’hypnose peut soigner les « hystériques ». Louise est une adolescente arrivée à l’hôpital à 15 après avoir été violée par son oncle, elle faisait ensuite « des crises », a dit sa tante, qui a appelé les gendarmes pour l’envoyer à la Pitié-Salpétrière. Louise est fière de participer à ce processus qui va faire avancer la Science, et elle a confiance en le docteur Charcot. Qui reçoit dans son amphithéâtre tous les Parisiens qui veulent voir ce phénomène, voir des folles. Louise est accompagnée par une femme, infirmière en chef, qui la rassure. Parce qu’elle est en chemise de nuit, et les regards lubriques des internes, des journalistes, ça fait peur. Même de l’autre côté du panneau de bois, Madame Genevieve, stricte dans sa tenue blanche et sa coiffe, veille au bien-être des patientes pendant le cours, mais de loin.

Geneviève est la fille d’un médecin de campagne, qui accompagnait très souvent son père dans ses visites, et qui lisait tous les livres de médecine de son père. La science, c’est simple, c’est clair, Geneviève croit en la science, pas en Dieu. Montée à Paris, elle est infirmière pour aliénés à la Pitié Salpétrière, depuis plus de vingt ans. Elle considère son travail sérieusement, pour la science. C’est elle qui reçoit les femmes en admission, et les proches. Elle est irréprochable, dans ce secteur de cent lits d’aliénées, ces folles pourraient tirer profit de la moindre faiblesse de l’infirmière. Elle connait ses patientes. Elles ont entre 13 et 65 ans, de tous milieux, elles sont hystériques, ou enfermées car prostituées ayant fait du tapage, des femmes jetées là par leur mari si soupçon d’adultère, ou au contraire parce qu’elles sont gênantes. Des femmes dites « Mélancoliques », des boiteuses, des paralysées, des femmes qui ont des tics, des filles qui ont été amenées par leur père parce qu’elles aimaient « en dehors » de leur milieu, des femmes qui ont essayé de se suicider. Geneviève les connait toutes.

Et arrive Eugénie, fille de grands bourgeois, internée car elle ose, lors des repas en famille, parfois parler à son frère Théophile, qui tous les soirs sort dans les salons ou les clubs où l’on discute politique, parfois arts et littérature. Il n’y a que des hommes et Eugénie se demande pourquoi, enfin elle le sait, toute femme qui essaierait de sortir du rang, c’est à dire ne pas vouloir se marier, ou avoir envie d’être libre, ou faire des études, elle le sait, ces femmes-là se retrouvent à la Pitié. Seulement Eugénie espère l’aide de son frère pour prendre un peu d’indépendance.

Ce roman, à travers ces trois femmes,  lève le voile sur la condition des femmes  au dix-neuvième siècle. Et parle de cet hôpital, la Pitié-Salpétrière. Depuis ses origines, de prison pour indigents, à un hôpital pour femmes, où désormais les progrès de la médecine sont très suivis, car souvent spectaculaires, où on fait des expériences en public sur des femmes.  On voit aussi ce à quoi les femmes sont asservies : au bon vouloir des hommes. Des « aliénées » qui souvent ne le sont pas, qui passeront leur vie dans ce dortoir et ce réfectoire attenant, et parfois aux « cours » de Charcot. Des destins touchants, des femmes de tous les milieux.. et l’attente du bal Costumé où elles essaieront de croiser le regard d’hommes, qui pourraient les aimer et les sortir de là..

C’est un livre puissant, touchant, clair malgré ce qu’il raconte, fluide, et extrêmement attachant. Bravo. Et je le recommande ! 

Le bal des folles – Victoria Mas, Albin Michel, 250 pages, 22 septembre 2019, 18,90€

 

 

 

 

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